This article is also available in English here.

Cela fait près de 15 ans que certains pionniers parmi les pays Africains se sont engagés à restaurer les fermes, forêts, prairies et autres écosystèmes dégradés à travers le mouvement de la Grande Muraille Verte. Aujourd'hui, l'argument économique en faveur de la régénération des terres est plus convaincant que jamais : pour chaque dollar investi, les gens peuvent s'attendre à 7-30 $ en retour. À la suite de la pandémie de COVID-19, qui pourrait plonger environ 30 millions d'Africains dans l'extrême pauvreté, la restauration des terres est devenue un outil essentiel pour améliorer la sécurité alimentaire et créer des emplois durables.

En même temps, le plus récent rapport du GIEC présente un tableau sombre. Les effets du changement climatique s'aggravent chaque année et plusieurs régions africaines comme le Sahel connaîtront une hausse des températures, exacerbant les vulnérabilités auxquelles les gens et la nature sont actuellement confrontés. Il est clair que nous devons restaurer massivement et rapidement la nature et les terres agricoles pour réduire la pauvreté, inverser la perte de la biodiversité et stocker les gaz à effet de serre qui réchauffent la planète. C'est pourquoi 31 pays se sont engagés depuis 2015 à restaurer 128 millions d'hectares de terres dans le cadre de l'Initiative AFR100.

Compte tenu de l'ampleur du défi et des engagements des pays, beaucoup se posent des questions cruciales sur les progrès de l'AFR100 et de la Grande Muraille Verte : combien de terres sont en cours de restauration ? Où et quel impact cela a-t-il sur le climat et les communautés ? En bref, les mouvements de restauration des terres dirigés localement par l'Afrique sont-ils sur la bonne voie pour tenir leur promesse ?

Répondre à ces questions est difficile car le suivi de la restauration - en Afrique et ailleurs - est évidemment compliqué.

Les Systèmes Robustes de Surveillance de la Restauration Détiennent la Réponse

Le suivi peut aider les communautés, les gouvernements, les entreprises, les ONG et les bailleurs de fonds à comprendre où les interventions de restauration - telles que la plantation et l'entretien des arbres - ont un impact sur le stockage du carbone, la biodiversité et les moyens de subsistance ruraux. Cela peut aider ceux qui effectuent le travail difficile de restauration à voir où le succès peut être reproduit, à apprendre rapidement des échecs et à ajuster leurs projets si nécessaire.

Pour les bailleurs de fonds, le suivi peut montrer où leur investissement a un impact réel. Avec un intérêt renouvelé pour les solutions naturelles au changement climatique, plus d'entreprises que jamais cherchent à investir dans le mouvement de restauration des terres en Afrique. Et la promesse d’un triple gain pour le climat, la biodiversité et le développement économique à travers la restauration enthousiasme les bailleurs institutionnels du Nord. 

Malgré cette grande reconnaissance de l'importance du suivi, nous en savons encore peu sur les impacts de la restauration en Afrique. Par exemple, le reverdissement de grandes parties du Sahel, à l’instar des régions de Maradi et de Zinder au Niger couramment citées comme une réussite de la restauration, il y a peu de preuves concrètes que le reverdissement de ces régions ait conduit à la réduction de la pauvreté ou à des améliorations de la biodiversité.

Nous devons réinventer et poursuivre une vision de la restauration en Afrique qui soit économiquement et socialement transformatrice pour certaines des communautés les plus vulnérables. Mais sans indicateurs de suivi permettant de suivre ces résultats, il sera difficile de savoir si une « restauration réussie » fait plus qu'ajouter du vert au paysage. Un système de suivi robuste, crédible et inclusif peut fournir ces informations et prouver que cette vision est réalisable. Alors, pourquoi n'y en a-t-il pas ?

Pourquoi le Suivi de la Restauration des Terres en Afrique est Délicat?

En termes simples, surveiller la restauration n'est pas aussi facile que compter les arbres. Neuf barrières se dressent sur le chemin :

  1. Le manque de compréhension commune de ce que comprend la « restauration ». Restaurer des paysages dégradés implique bien plus que planter des arbres. Les gens utilisent de nombreuses techniques à travers l'Afrique, allant de la capture de l'eau dans le sol en creusant des trous à la culture des arbres dans les fermes et au réensemencement des prairies. Ces techniques portent également de nombreux noms – « agriculture intelligente face au climat », « reboisement » ou « gestion des bassins versants » – mais de nombreux praticiens ne réalisent pas que c’est également de la « restauration des forêts et des paysages ».
  2. L’absence de définition commune du « suivi de la restauration ». Certaines organisations techniques définissent le « suivi » comme l'évaluation des opportunités de restauration ou la publication de données autodéclarées et non vérifiées. À notre avis, la surveillance ne peut pas s'arrêter là : elle doit utiliser des techniques transparentes, adaptées et scientifiquement robustes qui aident les gens à évaluer régulièrement les changements dans la viabilité des terres.
  3. La restauration est un processus lent (et prend un certain temps pour produire des résultats mesurables). Un arbre ne pousse pas en un jour, une terrasse ne ralentit pas l'érosion en un mois et la santé du sol ne se rétablit pas en un an. Des techniques efficaces de suivi de la déforestation à grande échelle existent déjà (comme Global Forest Watch, qui s'appuie sur des satellites). Ces mêmes techniques ne fonctionnent pas aussi bien pour cartographier la lente récupération des paysages. L'impact est particulièrement difficile à suivre car de telles méthodes de restauration mettent des années à réaliser leurs bénéfices. Au moment où ils le font, la plupart des projets - et leurs programmes de surveillance - sont à court de financement depuis longtemps.
  4. Il ne suffit pas de suivre les progrès dans les limites précises d'un projet. Le suivi doit prendre en compte l'impact total de tous les lents changements qui se produisent dans l'ensemble du paysage. Si une communauté plante des arbres pour restaurer une parcelle de forêt, à des fins uniquement d’abattre la forêt naturelle voisine pour la production du charbon de bois, alors moins de carbone serait stocké si la forêt était protégée en permanence et on n’aurait jamais à faire de la « restauration ».
  5. Nous ne connaissons pas les conditions de référence, de base et cibles de la plupart des paysages. Pour surveiller la restauration, il est essentiel de comprendre les contextes historiques et actuels de chaque paysage et les objectifs spécifiques de l'écosystème et des moyens de subsistance que les parties prenantes ont identifiés. Sans ce genre de données détaillées, les gouvernements et les chefs de projet ont du mal à savoir quel type de restauration est nécessaire et où. Le manque d'informations historiques et de base – combiné à la fixation sur le financement de solutions basées sur les arbres – a conduit à des projets désastreux qui dégradent davantage les terres. Planter des arbres dans une prairie historique, par exemple, peut menacer la sécurité de l'eau, la séquestration du carbone et la biodiversité.
  6. La restauration à base d'arbres est la plus facile à suivre, mais les techniques ne sont toujours pas parfaites. La restauration des arbres sur les terres agriculturales (la plus grande opportunité en Afrique) et les forêts dégradées figure en bonne position dans les engagements nationaux de restauration. Pourtant, les techniques de surveillance par satellite qui peuvent capturer de manière efficace et cohérente où poussent les arbres sont encore en cours de développement. Les techniques les plus courantes sous-estiment souvent les arbres dans les zones arides et en dehors des forêts denses, ce qui entraîne un manque de données détaillées pour éclairer les actions de restauration au niveau local, où les décisions clés de gestion des terres sont prises.
  7. L'accent est trop peu mis sur l'évaluation des impacts de la restauration. Les bailleurs de fonds et la communauté des ONG doivent considérer la plantation d'arbres comme un seul moyen de restaurer les terres, plutôt que comme la méthode par défaut. Mais, lorsque la croissance des arbres est la bonne décision, nous devons concevoir de nouvelles techniques évolutives qui concilient la croissance des arbres avec l’amélioration notamment du stockage du carbone, des revenus locaux ou des communautés, ainsi que d’autres objectifs tangibles.
  8. Il n'y a pas de cohérence dans la façon dont les projets suivent le succès ou rendent compte à des initiatives comme l'AFR100 et la Grande Muraille Verte. Chaque projet de restauration est accompagné avec sa propre méthode de suivi des progrès. Un projet peut se soucier uniquement que du taux de survie de ses arbres, tandis qu'un autre se concentre sur les revenus et les emplois créés. Cette approche cloisonnée rend difficile la comparaison des projets ou le rapport sur les progrès totaux au sein d'un paysage ou d'un pays. Une partie du défi réside dans le nombre croissant de plateformes et d'outils de suivi, chacun avec ses propres méthodes (et bailleurs de fonds). Beaucoup s'appuient entièrement sur des données autodéclarées et non vérifiées, que les praticiens de la restauration remettent constamment en question par manque de fiabilité. Cette approche isolée exige que les 11 pays qui font partie à la fois de l'AFR100 et de la Grande Muraille Verte fassent rapport à deux plateformes différentes, en utilisant des outils et des méthodes différents. Cela augmente les coûts pour les gouvernements à court d'argent (et le risque que les pays rendent doublement compte du même travail).
  9. Les institutions mandatées de surveiller la restauration des terres ont de faibles capacités. La capacité des agences gouvernementales nationales et infranationales à établir des bases de référence et à surveiller un ensemble complexe d'indicateurs reste faible dans la majorité des pays AFR100. Idéalement, ils devraient collecter des données, évaluer les impacts à long terme des projets, rendre compte des résultats au niveau national, puis les communiquer à l'AFR100 et à la Grande Muraille Verte. Cependant, les programmes reposent souvent sur le soutien technique des ONG et des chercheurs, dont la disponibilité tient uniquement pendant les cycles de financement, parfois courts et rend difficile le développement efficace des capacités. Le manque d'appropriation locale et d'utilisation des données qui en résulte est un défi particulier pour la durabilité du suivi.

4 Critères Pour un Système Efficace de Suivi de la Restauration en Afrique

Il est clair que le suivi de la restauration en Afrique est complexe et dépendant du contexte, mais ce n'est pas impossible. Des années de travail en étroite collaboration avec les gouvernements locaux et nationaux, les communautés, les développeurs de projets, les investisseurs et d'autres parties prenantes indiquent quatre actions clés pour développer un système de suivi de la restauration flexible mais cohérent:

Un graphique sur la façon de suivre les progrès de la restauration

1. Travailler avec les communautés pour convenir des objectifs communs et d'une vision pour la restauration

Dans chaque paysage, les représentants du gouvernement local, les développeurs de projets et les dirigeants communautaires pourraient utiliser le guide « Le Chemin de la restauration » pour favoriser une compréhension commune d'une vision socialement et environnementalement rationnelle des progrès et du suivi de la restauration. En sélectionnant des objectifs communs (tels que l'adaptation au climat ou la création d'emplois), en définissant une base de référence unique et en se mettant d'accord sur des indicateurs mesurables de base à suivre, les personnes travaillant dans l'ensemble d'un paysage peuvent effectuer un suivi plus efficace et plus complet.

La même approche peut être utilisée aux niveaux national et panafricain pour établir des systèmes flexibles mais complémentaires. Certains pays, comme le Malawi, ont déjà commencé ce processus et peuvent partager leurs expériences avec leurs pairs. En même temps, les initiatives régionales telles que l'AFR100 et la Grande Muraille Verte doivent établir des exigences de base en matière de rapportage pour garantir que tous les projets collectent des indicateurs de base. Idéalement, cela se traduirait par un système de suivi imbriqué, où les projets individuels contribuent aux objectifs nationaux de restauration et les pays aux objectifs continentaux et mondiaux.

2. Sélectionner les bonnes méthodes et outils pour générer des données

La collecte de bonnes données est difficile et coûteuse. Les personnes qui restaurent des terres utilisent généralement une combinaison d'enquêtes sur terrain, d'analyse de documents et des analyses satellitaires. Cela nécessite un investissement important pour le temps du personnel et l'expertise technique, un effort de longue haleine pour les gouvernements et les développeurs de projets à court d'argent. Le suivi des progrès nécessite également des mesures cohérentes des mêmes indicateurs au fil du temps, ce qui peut encore augmenter les coûts. Le couvert arboré, par exemple, est souvent évalué tous les trois ans (selon l'emplacement) pour capturer les changements de manière cohérente.

La plupart du personnel de suivi et d'évaluation qui travaillent pour les gouvernements locaux et régionaux ne peut pas encore produire ces données. Les experts techniques doivent doter ces dirigeants locaux d'outils adéquats et de compétences qui peuvent les aider à suivre de manière indépendante les progrès de la restauration.

Voici un exemple d’un projet d'agroforesterie au Rwanda qui montre la façon dont cela pourrait fonctionner : un expert de district en cartographie peut consulter l’ensemble de données spatiales existant (ou en créer des nouveaux) pour comprendre les conditions historiques et de référence de l’état de terre, ainsi que du couvert arboré sur un ensemble de fermes. Ensuite, ils pourraient déployer la Méthodologie d'évaluation des opportunités de restauration avec des représentants du gouvernement local et des chercheurs universitaires et mettre en évidence les différentes techniques de restauration qui fonctionnent le mieux. Ensuite, les communautés et d’autres acteurs locaux utiliseraient ces données pour guider leurs projets agroforestiers.

Ensuite, l'expert en cartographie pourrait déployer un mélange de techniques rentables pour créer des données de suivi de projet fiables. Par exemple, ils pourraient héberger un « Collect Earth mapathon », qui utilise les connaissances des populations locales pour collecter des données sur la couverture arborée (et d'autres indicateurs) afin de suivre les changements dans le paysage depuis le début du projet. Le cadre de surveillance de la dégradation des terres pourrait être utilisé pour mesurer les améliorations de viabilité des sols ou l'application « Regreening Africa » pour surveiller les indicateurs socio-économiques, comme le nombre d'agriculteurs bénéficiant d'une amélioration de la sécurité alimentaire.

3. Choisir comment gérer et stocker les données

Lorsque les praticiens de la restauration possèdent, gèrent et analysent leurs propres données, ils sont plus susceptibles de les utiliser pour améliorer leurs programmes. Ceci est particulièrement important pour les gouvernements, qui sont souvent tenus d'utiliser des données publiques pour rendre compte des progrès. La gestion de l’ensemble de données à long terme peut être compliquée : trouver de l'espace pour héberger les données, rationaliser les langages de programmation, les traiter et entretenir les systèmes nécessitent beaucoup de calculs et d'argent.

Ces données ne doivent pas être cachées au public ou enfermées dans les serveurs du secteur privé. C'est pourquoi un engagement pour les données ouvertes ou libres d’accès, la transparence et l'utilisation responsable des données est important. Les programmes de restauration devraient créer un lieu central où toutes les parties prenantes peuvent partager et utiliser les données.

Heureusement, il existe un nombre croissant de plates-formes open source qui gèrent et stockent les données de restauration pour une somme modique. La Kenya Water Towers Agency, par exemple, utilise la plate-forme personnalisable MapBuilder pour suivre ses efforts de protection et de restauration des bassins versants vulnérables du pays. Maintenant, ils travaillent sur un accord de partage de données afin que les personnes qui restaurent des terres puissent bénéficier de ses connaissances.

4. Accéder, reporter et partager les données

Une fois que les gens  ont collecté les données et savent où les stocker et comment les gérer, ils doivent les rendre utilisables. Étant donné le nombre d'indicateurs associés aux objectifs de restauration, l'élaboration de messages simples sur la progression globale de la restauration peut être compliquée, même lorsque les données sont disponibles. Des cartes et des rapports visuellement attrayants soutenus par des données indépendantes peuvent aider les personnes qui restaurent des terres à prouver aux investisseurs, aux communautés et aux partenaires qu'ils font des progrès. La communication de ces informations clés peut ensuite aider à renforcer la confiance du public dans les programmes de restauration.

Certaines plates-formes sont entrain de commencer ce travail acharné. Le Bonn Challenge Barometer prend les données autodéclarées des gouvernements nationaux et fournit des statistiques de premier plan sur les progrès de la restauration à un public international. Des tableaux de bord tels que ceux disponibles sur la plate-forme TerraMatch peuvent créer automatiquement des rapports d'avancement visuellement attrayants que les développeurs de projets peuvent partager avec les bailleurs de fonds et les partenaires. De même, l’Indice de durabilité pour la restauration des paysages peut présenter des données complexes sur une simple échelle de 0 à 1 pouvant communiquer les progrès globaux au public et aux décideurs de haut niveau.

Suivi de L'impact du Mouvement de Restauration en Afrique

De nombreuses personnes sont engagées dans le mouvement de restauration en Afrique, des jeunes entrepreneurs aux responsables gouvernementaux expérimentés et aux experts techniques passionnés. En échouant jusqu’à présent à construire un écosystème de surveillance de la restauration flexible et cohérent, nous les faisons échouons. Nous avons besoin d'une forte volonté politique et d'un esprit de collaboration.

Si les leaders africains de la restauration peuvent surmonter ces défis techniques, nous pouvons développer des systèmes de suivi robustes aux niveaux national et continental pour suivre les résultats et les impacts de la restauration. Un meilleur système de mesure contribuera à revitaliser davantage de paysages au profit des personnes, de l'environnement et des économies rurales.

Souhaitez-vous nous aider à résoudre certains de ces défis urgents ? Contactez notre équipe à restauration.monitoring@wri.org.

Cet article a été traduit par Angel Cibemba.